Les débats ont montré l'embarras des juges, qui redoutent, d'un côté, de passer à la postérité comme ceux qui se seront "lavés les mains"de la question, et auront laissé passer le vent de l'histoire et, de l'autre, d'être accusés, de forfaiture et de mépris pour les électeurs et l'autonomie des Etats. Le juge Kennedy, connu pour avoir rédigé la plupart des opinions qui ont censuré les discriminations à l'égard des homosexuels, a ainsi déclaré "Cette définition (NB : l'union entre un homme et une femme) nous a accompagnés pendant des millénaires. Et c’est très difficile pour la Cour de dire “Bon, d’accord, mais nous en avons une meilleure”." Rebondissant sur l'idée qu'une tradition séculaire ne peut pas être, du jour au lendemain, qualifiée de discrimination pure et simple, le juge Scalia a posé à l'avocat des requérants la question suivante : " Que faites vous de la circonstance que, autant que je sache, jusqu’à la fin du XXeme siècle, aucune nation ou culture n’a reconnu un mariage entre deux personnes de même sexe? Donc, nous pouvons en inférer que ces nations et ses cultures estimaient toutes qu’il y avait un motif rationnel, une raison pratique pour définir le mariage de cette façon, ou est-ce que vous soutenez qu’elles avaient toutes, et de facon indépendante, un jugement fondé sur des stéréotypes irrationnels et des prejugés?".
Même le juge libéral Breyer a estimé que la question appelait une réponse claire de la part de l'avocate des requérants, et a repris le thème du millénaire et de la longue durée : "La thèse opposée à la vôtre a eu force de loi pendant des milliers d'années", et "tout d'un coup, vous voulez que neuf personnes non élues imposent aux Etats qui n'en veulent pas une définition du mariage" qui inclue les personnes de même sexe. "Pourquoi est-ce que ces Etats ne peuvent pas attendre et voir ce qui se passe dans les autres Etats avant de décider si cette évolution affaiblit l'institution du mariage?".
La réponse n'est pas venue de l'avocate des plaignants, qui n'a pas été très à son aise tout au long des débats -on serait intimidé à moins-, mais de l'avocat général Verilli, qui intervenait au nom de l'Etat fédéral (qui soutient également que ces lois sont inconstitutionnelles). Il a tout d'abord insisté sur le fait que si la Cour s'en remettait au "processus politique" pour mettre fin aux discriminations, ce choix ne serait pas neutre. Si vous prenez ce parti, a-t-il lancé, "vous direz en réalité que le statut de second zone des couples gays et lesbiens est compatible avec le principe d'égalité devant la loi. Cela ne serait pas une attitude attentiste ("wait-and-see"), mais une "validation" (de ces discriminations). Autrement dit, il a clairement signifié à la Cour que "ne pas choisir, c'est déjà choisir". Il a ensuite souligné les conséquences de ce choix : si vous pensez que le problème va se résoudre avec le temps, ce qui va se passer, c'est que "le pays va se diviser de la même manière qu'il l'a fait sur la discrimination raciale" (NB : qui resta légale dans le Sud pendant de nombreuses décennies, alors qu'en droit, elle avait disparu du reste des Etats-Unis). "Vous aurez beaucoup d'Etats, une majorité sans doute, dans les lesquels les homosexuels pourront vivre dans la dignité et l'égalité, mais vous aurez une minorité d'Etats dans lesquels ils seront relégués dans un statut dégradant, de seconde zone. Et de conclure :"Je ne vois pas pourquoi nous voudrions que l'histoire se répète de cette façon".
Si les lois sont déclarées inconstitutionnelles, Donald Verilli aura bien mérité une statue.
No comments:
Post a Comment