Thursday, May 14, 2015

Quand élection des juges rime avec grabuge

Trente-neuf Etats des Etats-Unis pratiquent, à un degré ou à un autre, l'élection des juges. Dans l'arrêt Williams-Yullee v. Florida bar, rendu le 29 avril dernier, la Cour suprême vient d'indiquer que la nature particulière de cette élection justifiait des règles particulières en matière de financement des campagnes électorales. Cet arrêt juge que le barreau de Floride peut, sans porter une atteinte excessive à la liberté d'expression, interdire aux candidats aux élections judiciaires de solliciter directement de l'argent auprès des électeurs.

Cette arrêt a suscité beaucoup de réactions.


Il est à contre-courant de la tendance jurisprudentielle des dernières années, qui avait été caractérisée par une dérégulation tous azimuts du financement des campagnes électorales: cette dérégulation est la conséquence de l'arrêt Citizen United v. FEC,  558 U.S. 310 (2010), dans lequel la Cour avait considéré que le droit de participer au financement des élections s'apparente, sous certaines conditions, à l'exercice de la liberté d'expression (ce qui est parfois résumé par la formule speech=money). 


Il a été également remarqué dans la mesure où le chief justice Roberts a joint sa voix à celle des libéraux plutôt qu'à celle des conservateurs, ce qui lui arrive parfois (comme dans l'affaire de l'Obamacare), mais qui suffisamment rare pour que cela attire l'attention.


Le raisonnement de l'opinion majoritaire, rédigée par le juge Roberts, ne remet pas en cause le principe selon lequel solliciter de l'argent pour financer une campagne électorale est une forme d'expression (speech) protégée par le Premier amendement. Mais elle indique que l'Etat de Floride a justifié d'une impérieuse nécessité publique (compeling interest) pour apporter des restrictions à cette liberté, et que ces restrictions sont strictement nécessaires à l'objectif recherché, qui est de prévenir des suspicions sur l'impartialité et l'intégrité des juges qui auraient été élus en sollicitant personnellement des contributions financières.


Il est extrêmement rare qu'une restriction à la liberté d'expression soumise à la forme de contrôle maximal ("strict scrutiny") soit jugée constitutionnelle. Ce qui a fait dire aux détracteurs de la décision que la Cour s'est embarquée sur une pente glissante, qu'elle dilue et dénature la notion de contrôle maximal, et menace à terme la protection de la liberté d'expression. Mais on peut surtout voir dans la décision une reconnaissance de la spécificité des élections judiciaires par rapport aux élections politiques classiques, et des risques qu'une dérégulation de ces élections fait peser sur l'indépendance et l'impartialité desdits juges.


On est encore très loin d'une remise en cause de la jurisprudence Citizen united, mais il est rassurant que même un conservateur comme le chief justice reconnaisse qu'il y a tout de même des limites à ne pas franchir en matière de financement des campagnes.


PS : on précisera que tradition de l'élection des juges concerne exclusivement les Etats, car dans la justice fédérale, la Constitution prévoit que les juges sont nommés par le Président avec l'accord du Sénat. Elle recouvre des réalités diverses, car les modalités d'élections sont très différentes d'un Etat à un autre. 

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