Tuesday, June 23, 2015

Spiderman et la Cour Suprême

La Cour Suprême des Etats-Unis s'occupe de choses sérieuses et de sujets graves. On le verra dans quelques jours, et peut-être dès demain, lorsqu'elle rendra ses décisions dans l'affaire du mariage entre personnes de même sexe et dans celle de l'Obamacare. Mais, parfois, la Cour s'accorde aussi des moments de détente.

Dans une affaire de propriété intellectuelle qui opposait la société de bandes-dessinées Marvel (à qui l'on doit tout un panthéon de super-héros, dont Spiderman, Hulk, Iron-Man, X-Men, Avengers, etc.) à un détenteur de brevets, la juge Kagan s'en est donné à coeur joie. L'affaire portait -ça ne s'invente pas!- sur le brevet d'une invention mise au point par un certain M. Kimble en 1990. L'inventeur, s'inspirant des aventures de Spider Man (l'homme araignée, comme on disait quand j'étais petit), avait mis au point et breveté un jouet permettant de projeter une simili-toile d'araignée, à la manière de Spiderman. A la suite d'un contentieux entre l'inventeur et Marvel, qui avait commercialisé un jouet similaire, les parties convinrent d'une transaction, par laquelle l'inventeur se voyait offrir 3% de royalties sur les ventes du jouet, aussi longtemps que celui-ci serait en vente.

Mais les avocats des parties avaient oublié un léger détail: dans un arrêt rendu quelques décennies  auparavant (l'arrêt Brulotte, rendu en 1964), la Cour suprême avait jugé qu'il n'est pas légalement possible de reconnaître à un inventeur le droit de continuer à percevoir des royalties sur un brevet expiré. Or, le brevet expirait en 2010.

La question posée à la Cour était de savoir si elle allait revenir sur la solution de l'arrêt Brulotte. La Cour répond à la question par la négative, dans un arrêt facétieux, truffé de référence aux super-héros. Dans l'opinion majoritaire, la juge Kagan note que "les brevets confèrent à leur détenteur des super-pouvoirs, mais pour une durée limitée" (un peu comme la potion magique, en somme). Après avoir rappelé le contenu de l'arrêt, elle se livre à une discussion juridique sur les conditions requises pour que la Cour revienne sur une solution antérieur et déroge au principe de stabilité juridique (stare decisis). Elle distingue différentes formes de stare decisis, et rappelle le principe selon lequel, lorsque la cour tranche une question qui ne relève pas du droit constitutionnel, c'est en principe au législateur de décider s'il veut faire évoluer le droit, plutôt qu'à la Cour de modifier sa jurisprudence. Elle qualifie ce principe de "stare decisis investie de superpouvoirs" et note que, dans ce cas, la justification pour le revirement de jurisprudence doit être "superspéciale".

Mais la cerise sur le gâteau est la conclusion de l'arrêt, où la juge cite Stan Lee (le scénariste créateur de Spiderman) dans le texte. Pour expliquer le principe de stabilité juridique, qui impose à la cour de ne pas faire évoluer sa jurisprudence au gré de sa seule fantaisie, la juge Kagan indique que "Dans ce monde, avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités". La citation exacte, que tous les fans de l'homme en collants bleus et rouges auront reconnue, est tirée de l'ouvrage suivant : S. Lee and S. Ditko, Amazing Fantasy No. 15: “SpiderMan,” p. 13 (1962). SpiderMan fait ainsi son entrée dans la littérature juridique.

Comme on l'a rappelé, toutefois, ce moment de détente devrait être bref, car les affaires du mariage gay et de l'Obamacare attendent la Cour, et l'ambiance sera nettement moins détendue. Mais c'est qu'avec de grands pouvoirs, etc., etc.

No comments:

Post a Comment